118 LA PREMIÈRE CARRIÈRE DE SÉNÈQUE
n’était pas près d’être levée : il en avait encore pour
cinq années à maudire la barbarie corse. Que devint-
il durant ce temps? Il est vraisemblable qu'il se
sentit d’abord très accablé, se replia de plus en plus
en lui-même, eut encore des mouvements de révolte,
et finit par tomber dans une sorte de résignation
douloureuse, analogue à celle d'Ovide à Tomes. Dans
un passage visiblement inspiré par le souvenir de
son exil, il vante de la manière suivante les bienfaits
de lhabitude : « Les esclaves qui ont les fers aux
pieds commencent par endurer avec peine le poids
et la gène des entraves; ensuite, lorsqu'ils ont pris
le parti de ne plus protester contre leurs chaînes, la
nécessité leur apprend à les porter avec courage;
l'habitude le leur rend fagile.… Si l’adversité agissait
sur vous tant qu'elle dure avec la même force qu'au
premier choc, personne n'y résisterait', » Il dit
même qu'iln'y a point de situation où l’on ne trouve,
pour peu qu'on s’y prête, des distractions et des plai-
sirs. Ses relations avec Rome se bornèrent désormais,
semble-t-il, aux lettres qu'il échangeait avec sa
famille* et avec quelques amis. Mais sa solitude ne
fut pas oisive. Déjà, dans la Consolation à Helvia, 1
laissait entendre à sa mère que sa grande ressource
était le travail : il lui parlait de ses méditations
philosophiques, d'observations scientifiques sur les
‘ De Trang. an., X. — Cf. De Provid., IV, 1245, la même idée,
exprimée par Sénèque au début de l'exil, avec l’exagération d'un
homme en qui la rigueur des formules n’a pas encore été lempérée
par l’expérience.
* Nous manquons de documents. Mais il existait dans l’antiquité
des lettres de Sénèque à Novatus, dont Priscien (De Ponderibus,
I) cite le dixième livre. Sur sa correspondance avec Cæsonius
Maximus, voir ci-dessus, p. 94, note 4.
3 Ad Helv.. XX.