242 LE MINISTÈRE DE SÉNÈQUE
du monde à l’autre on avait une telle soif de bonheur,
un tel besoin de paix, d'ordre, de justice! Il y avait
dans les cœurs tant d'’effroi, dans les esprits tant
d'incertitude ! Cela durait depuis si longtemps ! Un
moment de trêve qui permeltait aux plus découragés
de se reprendre, aux plus désabusés de concevoir
quelque espoir, était un inestimable bienfait. On se
souvint de celte courte époque comme d'une éclair-
cie joyeuse au milieu de la sombre tourmente qui,
de Tibère à Nerva, secoua jusque dans ses fondements
l'univers civilisé. Les contemporains en Jouirent
comme d’un temps de pause et de répit, durant lequel
ils eurent la sensation de respirer sans contrainte et
d'exister pleinement. A la fausse paix qui, sous Claude
etsous Agrippine, couvrait d'un voile hypocrite toutes
les iniquités et toutes les vexations, succédait ume
paix véritable, pax togata, plena quies, enfantant de
toutes parts le bien-être, tant matériel que moral,
assurant à chacun le libre exercice de ses droits. Lésé,
on obtenait justice; coupable, on élait châtié, et
néanmoins traité avec clémence toutes les fois que
l'équité ne s’y opposait pas. Les Chrétiens même
acceplaient sans trop de répugnance celle autorité
bienfaisante!. Le petit nombre des événements qu'en-
pied de la lettre. En réalité, le calme ne s'établit, on ne commença
à jouir d'une direction régulière, qu'au sortir de la crise de 55 : mais la
période de tranquillité, de progrès, de bien-être qui s'ouvre ‘alors
s’étendit jusqu'en 62, date de la mort de Burrus et de la disgrâce
de Sénèqu. — Dion Cassius (LXI, 7, 11) semble arrôter ‘beaucoup
plus tôt la période heureuse du règne de Néron: elle sseraitalons si
éphémère que 1 histoire pourrait presque ne pas en tenir compte.
Mais Dion, fasciné par les turpitudes de Néron, ne, purle ici qu'en
moraliste : il perd de vue l'histoire politique et la: situation adminis-
trative de l'Empire.
* Voir ci-dessous, p. 315-316.