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INTRODUCTION
l’indulgence ni vers la rigueur. Comme historien,
il rend hommage à l'esprit éminent qui soutint
l'État de ses conseils et prêcha, non sans effet, la
vertu et la justice. Comme moraliste (et pour Ta-
cite la valeur des gens dépend surtout de leurs
mœurs), il est choqué de ses fautes, de ses faiblesses
vraies ou probables, et lui pardonne malaisément
d'avoir si souvent prêté le flanc à la censure. De
là l'espèce d’indécision des Annales et le ton réservé
des passages les plus favorables.
Le problème s’éclaircirait un peu si les historiens
anciens nous renseignaient sur leurs propres sources.
Mais ils ne s’en soucient guère. En général, ils s’abs-
tiennent de toute indication de ce genre; quand ils
en fournissent, elles sont vagues, insuffisantes,
sujetles à caution. Les tentatives faites récemment
pour retrouver, à travers les textes que nous possé-
dons, ces sources primaires montrent qu'on ne peut
se livrer en pareille matière qu'à des spéculations
extrèmement aventureuses ‘.
On comprendra suffisamment, après ce rapide
exposé, quelles difficultés rencontre l'historien qui,
de nos jours, aborde le problème de la vie de Sénè-
que et de son œuvre politique, et quelle prudence il
est tenu d'apporter dans l'emploi des documents. Le
1 V. surtout Gercke, Seneca-Studien, p. 159 et suivantes. Dans
Tacite, par exemple, cet auteur prétend faire le départ, phrase par
phrase et parfois mot par mot, de ce qui dérive respectivement des
histoires perdues de Pline l'Ancien, de Gluvius Rufus et de Fabius
Rusticus : ce démontage des Annales n'est que bizarre et ridicule
et n’aboutit à rien de solide.