L'ÉMANCIPATION DE NÉRON 363
vée. La vérité allait éclater : le peuple, le Sénat, les
soldats allaient se lever contre le parricide; peut-
être, brûlant de se faire justice, Agrippine accourait-
elle déjà avec ses esclaves en armes... Devenant fou,
se voyant perdu, il appela Burrus et Sénèque, et se
Jeta dans leurs bras.
L’entrevue fut poignante. Il se peut que Burrus et
Sénèque eussent déjà surpris quelques menées sus-
pectes, qu’ils fussent plus ou moins préparés aux
révélations que Néron leur fit alors'; il paraît cer-
lain qu’on ne les avait ni consultés, ni instruits de
ce qu’on tramait, avant cette nuit sinistre”. Qu'ils
fussent dupes ou non de la relation officielle de l’évé-
nement, Néron était fondé à croire qu'ils accepte-
raient le fait accompli, comme après la mort de Claude
et celle de Britannicus. Mais il était aux aboiïs : il
avoua tout et leur abandonna son sort. Un long
silence consterné répondit aux prières du coupable.
À l'agitation fiévreuse du jeune homme, au glacial
sang-froid de ses deux auditeurs, on eût dit un cri-
minel et des juges plutôt qu’un prince et ses minis-
tres.Quelles pensées s’agitèrent en eux ? Quelle cruelle
délibération masquèrent ces visages impassibles ? A
quels assauts cédèrent ces deux consciences? La vie
! Tacite, mieux renseigné que nous, n’était pas arrivé à élucider
ce point : incertum an et ante gnaros (Ann., XIV, 7). Of. Introduc-
tion, p. 15, note 4. — C. Pascal (ouvr. cité, p. 51) rapproche ingé-
nieusement cette scène de la scène relatée Ann., XII, 20 (v. ci-
dessus, p. 226), où Burrus avait dû promettre de tuer Agrippine si sa
culpabilité était démontrée. Burrus et Sénèque l'avaient alors
reconnue innocente; celte fois Néron leur apporte une nouvelle
preuve, vraie ou fausse, de culpabilité : il peut espérer que Burrus
äccomplira ce qu'il a promis quatre ans auparavant dans des circons-
lances analogues.
? Cf. J. Martha, La Vie et les œuvres de Sénèque (Revue des Cours
et des conférences, 1907-1908), p. 578 et suiv.