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L'ÉMANCIPATION DE NÉRON 371
esprits’. Ce phénomène passait pour annoncer la
chute des princes. Il ne fut douteux pour personne
que Néron touchait à sa perte, et, comme si ce fût
chose accomplie, on ne parla plus que de son suc-
cesseur. Le vœu public, sans balancer, choisissait
Rubellius Plautus. Il se fit mème parmi le peuple
un tel accord sur ce nom que Néron s’en épouvanta.
Plautus était un compétiteur de plus de conséquence
que Sulla. Depuis le temps où Agrippine l’avait si
périlleusement compromis, il avait vécu à l'écart,
dans une retraite prudente et digne, sans donner
d’ombrage au pouvoir. Mais ses vertus et sa modestie
lui valaient, à son corps défendant, une réputation
éclatante. De nouveaux prodiges semblèrent le dési-
gner spécialement à l'Empire. Des gens habiles se
mirent à le courtiser. Néron, de plus en plus inquiet,
interrogea les devins : ils confirmèrent l'exactitude
du présage et lui conseillèrent, selon le rite, de dé-
tourner sur d’autres le malheur dont il était menacé.
C'était pousser le tigre au carnage, et Néron allait
en effet fondre sur les plus nobles tètes, si Sénèque
ne l’eût arrêté : « Quelque massacre que tu fasses,
lui dit cet homme d’esprit, tu ne tueras pas ton suc-
cesseur?. » Plautus eut la vie sauve; Néron le pria
seulement de pourvoir à la tranquillité de Rome,
«de se soustraire à la méchanceté des diffamateurs »,
et de vouloir bien aller résider dans ses terres d’Asie-
Mineure, où il jouirait de loisirs que rien ne vien-
drait troubler.
1 Tacite, Ann., XIV, 22; Sénèque, Nat. Qu., VILA XIXe
Pline, Nat. Hist., II, 25 (23).
? Dion, LXI, 48; Suétone, Nero, 86.