386 LA RETRAITE DE SÉNÈQUE
en butte aux méchants propos. La renommée de Sé-
nèque comme philosophe et comme écrivain était une
source de jalousie. L'énorme situation qu’il avait
acquise comme précepleur, puis comme conseiller
du prince, lui avait valu des haines. Les richesses
qu’il avait amassées excilaient de grandes convoi-
tises. Personne ne l'attaquait en face, mais les con-
versations privées abondaient en critiques ou en
insinuations, qui faisaient du chemin peu à peu.
La légende mème s’en mêlait. L'écho en est venu
jusqu'à nous, et, comme il n’y a souvent qu’un doigt
de la vérité à la calomnie, il n’est pas très facile
aujourd'hui de les discerner l'une de l’autre. La ma-
lignité publique reprochait à ce Sloïcien de mettre
sa conduite en désaccord avec sa philosophie, à ce
directeur de consciences de se diriger fort mal lui-
même. L'un le reprenait sur ses mœurs, rappelait les
circonstances qui avaient motivé son exil, parlait de
honteuses débauches, dont il avait donné l'exemple à
Néron. L'autre trouvait qu'il avait fait un mariage
trop brillant. Ceux-ci le blâämaient d'avoir adulé
Messaline.et les affranchis de Claude ; ceux-là d'avoir
été le maître d’un tyran. On observait que ce juge
sévère des flatteurs et des courtisans ne quittait pas
le palais impérial, et que, tout en condamnant les
riches, il possédait une fortune de trois cents mil-
lions de sesterces*.
C'étaient là de vaines rumeurs. Mais il se trouva
quelqu'un pour essayer de les exploiter. Ce fut
P. Suillius Rufus, frère utérin de Corbulon?, lun
! Dion, LXI, 10. Cf. Sénèque, De Vita beata, passim, surtout XVIT :
Epist., XXIV, 15.
: Pline, Nat. Hisk., NI, 5 (4).