390 LA RETRAITE DE SÉNÈQUE
ne permettait pas d'ignorer ses propos, et l’on sen-
tait que ce n’était qu'un prélude. Sénèque se décida
à s’en débarrasser. On trouva des accusateurs, qui
dénoncèrent les malversations auxquelles Suillius
s'était livré pendant son gouvernement d'Asie, au
détriment des provinciaux d’une part, du trésor pu-
blic de l’autre. Le Sénat leur octroya une année pour
procéder à l'enquête d'usage et réunir leurs preuves.
Ce délai parut long; on se rabattit sur les crimes
qui avaient eu Rome pour théâtre et dont on avait
les témoins sous la main. Suillius comparut devant
l’empereur. L’accusation rappela une à une ses déla-
tions, et mit neltement à sa charge toutes les cruau-
tés de Claude. Il protesta fièrement de son innocence,
soutenant que pas une fois l'initiative n'était venue
de lui et qu'il n'avait jamais fait qu’obéir aux injonc-
tions du prince. Mais Néron lui ferma la bouche, en
déclarant que jamais son père n'avait prescrit la
moindre accusation et que les papiers particuliers de
Claude en faisaient foi. Alors Suillius allégua les
ordres de Messaline. Nouvelle défaite moins heureuse
encore que la première : car pourquoi avait-il ‘été
choisi plutôt qu'un autre pour prêter l'aide de sa
parole aux fureurs d’une prostituée ? Etquelle lâcheté
que de rejeter sur autrui, après en avoir reçu le sa-
laire, les crimes dont il s’était fait l'instrument ! Dé-
pouillé de la moitié de ses biens (l’autre moitié restant
à ses enfants), il fut rélégué aux Baléares, sans qu'on
vit, ni pendant le procès, ni après la condamnation,
fléchir l'orgueil de ce vieillard. On racontait qu’une
vie voluptueuse et molle l'avait aidé par la suite à
supporter sa disgrâce. Les accusateurs voulaient, par
excès de zèle, poursuivre comme concussionnaire