409 LA RETRAITE DE SÉNÈQUE
du philosophe homme d'État. Ce solennel échange
de harangues aboutissait à la ruine complète de son
autorité sur le prince. Vainement il avait déployé
toutes les ressources de l’éloquence, toutes les séduc-
tions de la dialectique : l'élève avait battu le profes-
seur avec les armes qu'il tenait de lui. Néron avait
même trouvé moyen de se donner le beau rôle, en
simulant la reconnaissance, le dévouement, la géné-
rosité : il avait presque mis Sénèque dans son tort.
Bercé de flatteries affectueuses, enlacé de liens dorés,
celui-ci sortait de Ià amoindri. Ses demandes avaient
été éludées ; il restait, à son corps défendant, riche
et enchaîné au pouvoir. Loin de s'améliorer, sa situa-
tion empirait; elle devenait même insoutenable.
Pris entre l'obligation de se maintenir à son rang et
la nécessité de détourner de lui l'attention, il avait
perdu toute assiette.
Malgré l'insuccès de sa démarche, il fit en sorte.
que ce jour marquât aux yeux de tous le terme de
sa puissance. Sa vie changea ; il réforma ses habi-
tudes. Forcé de demeurer à la cour, il s'abstint,
sous divers prétextes, de se montrer. Contraint de
conserver ses richesses, il se garda de les étaler et
retrancha de son train tout ce qu'il put. Les récep-
tions qui amenaient à sa porte des nuées de clients
et de courtisans furentsupprimées. Il refusa au dehors
tout corlège ; il sortit même le plus rarement pos-
sible, alléguant tantôt sa mauvaise santé, tantôt des,
études philosophiques qui le retenaient chez lui *. Il
ne vit plus qu'un petit nombre d'amis, ne cessa de
réduire sa dépense et d’affecter en toutes choses une
1 Tacite, Ann., XIV, 56; Sénèque, Epist., VIIL, 1-2.