DISGRACE DE SÉNÈQUE 401
simplicité de plus en plus grande ‘. Mais il eut beau
se donner l'aspect du plus modeste citoyen, jamais il
ne fut certain d’avoir privé la calomnie d’aliment, ni
d’avoir endormi la sournoise inimitié du prince. Son
espritn’eut plus un moment de pleine tranquillité. Les
travaux solitaires, les hautes méditations de l'âme
_trompaient son incurable tristesse ; mais, tandis que,
de son cabinet d'étude, il assistait en silence aux
progrès de Tigellinus, aux violences croissantes de
Néron, à l'effondrement de son propre ouvrage, il se
: demandait à tout instant si cette demi-obscurité
Suffisait el si quelque catastrophe soudaine n'allait
pas éclater sur sa tête.
C'en était fait du rêve politique de Sénèque. Il
avait donné à Rome quelques années d’un gouverne-
ment verlueux, au monde quelques années de calme
et de confiance; il se retirait volontairement le jour
Où il n'y avait plus pour lui ni dignité ni sûreté à
demeurer au pouvoir. N'ayant pu obtenir son congé,
il abdiquait discrètement. Il se souvenait que le
sage ne s’obstine pas à l’action politique quand la
république le repousse; que, lorsque les méchants
dominent, la raison veut qu’il renonce de son plein
gré, el quelque regret qu'il en ait, à diriger l'État
Contre la volonté du destin. Le tout est de ne faire
retraite ni trop tôt, ce qui serait lâche, ni trop tard,
Ce qui serait insensé. C’est pour justifier cette attitude
qu'il avait écrit peu auparavant le traité De d'Oisiveté,
dédié à son cher Serenus. Le but de cet ouvrage est
de prouver qu’on peut être excellent Stoïcien el ne
Pas se mêler aux affaires publiques, qu’on peut sur-
* Cf. Sénèque, Epist., VIII, 5; LXXXVIL 1-5: CXXIIL, 1-6 et
Passim.
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