VIE DE SÉNÈQUE DANS LA RETRAITE 415
des prérogatives des Pères dans les premières années
de son principat, affecte de plus en plus de.les négli-
ger, leur prodigue ouvertement mépris, railleries,
affronts, et, après l'échec de la conspiration de Pison,
qui avait. trouvé plus d'un appui dans leurs rangs,
les terrorise et les décime ‘.
Au cours des années 63-64, tout se désagrège. Le
despotisme s’installe. Le règne des affranchis recom-
mence ; l’anarchie reprend possession des conseils du
gouvernement. On ne.saurait guère imaginer, selon
la formule stoïcienne, un État moins convenable au
sage. Comme Thrasea, Sénèque s'éloigne, s'isole de
plus en plus. Parfois ces deux grands hommes, dont
nous connaissons mal les rapports, font presque cause
commune. Lorsque le Sénat se rendit à Anlium, à la
fin de janvier 63, pour complimenter Néron de la
naissance de sa fille, Thrasea ne fut pas admis à
paraître devant le prince : on savait ce que présageait
cette menace. À quelque temps de là, Néron se vanta,
dit-on, à Sénèque, de s'être réconcilié avec Thrasea,
et Sénèque l'en félicita”. Courageuse, mais dange-
reuse franchise ! En général, le philosophe se mani-
feste moins. Sans se désintéresser de ses amis, qu'il
voudrait convertir à sa tardive sagesse, il se replie
sur lui-même. Des le début de sa retraite, il a fermé
ses oreilles au bruit du monde ; il s’est plongé dans les
livres, qui, à l’en croire, ont opéré en lui une trans-
formation presque soudaine : c’est avec un véritable
émerveillement qu'il s'aperçoit qu'il n’est plus de
même hommeet constate.ses progrès de chaque jour”;
1 Suétone, Nero, 37; Dion, LXIII, 15.
ÉTacite, Ann, XV ,123.
3 Sénèque, Epist., VI, 1-3.