416 LA RETRAITE DE SÉNÈQUE
il lui semble qu’il a tout à coup découvert la vraie
voie de la raison après de longs égarements, qu'il a
enfin appris à lire, à comprendre les maîtres de la
sagesse, qu'il vient de trouver, en scrutant leurs
paroles à la lumière de son expérience personnelle,
la clef du bonheur terrestre et de la tranquillité de
lâme. La composition de son grand ouvrage de
morale et de ses Questions naturelles l'absorbe et le
passionne autant que ses lectures. Il condamne sa
porte. Il passe au travail une partie de ses nuits, lut-
tant contre la fatigue, ne s’arrêtant que lorsqu'il est
à bout de forces et que ses paupières retombent mal-
gré lui‘. On dirait qu’il veut non seulement oublier le
monde extérieur et rattraper le temps perdu, mais se
mortifier jusque dans son corps. Il ne s'accorde guère
aucune distraction. Sa correspondance de plus en plus
nourrie avec le fidèle Lucilius, alors procurateur en
Sicile, occupe une partie de son loisir, sans le détour-
ner de ses pensées familières ; ils discutent de philoso-
phie, de lillérature, échangent leurs ouvrages. Quel-
ques entretiens, parfois enjoués, plus souvent graves,
avec ses amis les plus chers, avec les amis de ses
amis?, qu’il se plaît, selon sa coutume, à confesser
et à redresser, coupent presque seuls cette vie labo-
rieuse et austère. La douce présence de sa femme y
mêle seule quelque charme.
Cependant il se sentait encore trop près de la cour,
du Sénat, de la fournaise politique ; trop d’intrigues
et de périls environnaient sa retraite ; il aspirait à
se mettre hors de portée. Au printempe de l’an 63,
1 Epist., VIII.
? Voir Epist., XI, XXV, XXIX, XXX.