CONCLUSION
c'est pour se préserver contre l’armée, toujours capa-
ble de renverser ceux mêmes qu’elle a élevés, que les
empereurs de celte époque abdiquent entre les mains
du Sénat une grande part de leurs pouvoirs ; ils n’ar-
rivent qu'ainsi à durer un peu. Avec Sénèque, nous
l’avons vu, la situation est bien dillérente. Le prince
est encore plus loin de songer à se subordonner au
Sénat, comme le feront ses successeurs du m° siècle,
que de chercher à mettre le Sénat, comme le firent
si habilement les Antonins, dans une siluation subal-
terne. S'il laisse s'exercer les droits du Sénat en con-
currence avec les siens, c’est sous l'influence des doc-
trines libérales, vertueuses, philosophiques que lui à
inculquées le directeur de sa conscience el de sa con-
duite, disciple lui-même des Stoïciens en philosophie
et d'Auguste en politique.
Il n’y aura donc plus après Sénèque de liberté poli-
tique proprement dite dans l’Empire romain : ce que
les Grecs appelaient dnpoxparis * s'est pour très long-
temps évanoui de la surface du monde habité. Cette
liberté politique avait engendré, durant le temps de
la faveur de Sénèque,un sentiment universel de sécu-
rilé, dont tous les citoyens et les « alliés » de Rome
avaient joui avec délices. Sous le couvert de ce gou-
vernement loyal et bienveillant, ce que les Grecs appe-
laient d’un mot éevlepis, vague el lointaine ébauche
de ce que nous appelons les Droits de l'homme, avait
été rétabli sans fracas, dans toute la mesure où les
coutumes et les préjugés du temps le comportaient.
1 Nous avons vu que Dion Cassius (LIX, 3) qualifiait encore de
« démocratique » le gouvernement de Caïus dans les premières
années de son règne. Cf. aussi les paroles de Mécène à Auguste
citées p. 251, n. À: