46 LA PREMIÈRE CARRIÈRE DE SÉNÈQUE
étudia, la méthode n'avait pas changé : les maîtres,
du fond de leur école, invitaient toujours leurs audi-
teurs à faire œuvre de citoyens. Ils citaient Journel-
lement Caton d’Utique comme le modèle accompli
de toutes les vertus stoïciennes, et les auditeurs.
livrés à eux-mêmes, avaient le droit d’hésiter entre
limitation de ce sage moderne et celle des sages de
l’ancien temps.
Quel parti fallait-il préférer ? Le sage digne de ce
nom ne recherche ni le pouvoir ni les honneurs pour
eux-mêmes : il dédaigne ces faux biens qui éblouissent
le vulgaire ; le titre de citoyen de l'Univers est plus
glorieux à ses yeux que toutes les royautés, que
toutes les vaines dignités après lesquelles court l’in-
sensé. Mais, s’il sait qu’il pourra, dans une situation
privilégiée, se rendre plus utile à ses compatriotes,
il doit concevoir en même temps le désir de s’y élever.
Ce sera répondre au vœu de la nature elle-même, qui
crée l’homme pour assister et protéger ses semblables’.
D'autre part, pour le Stoïcien, l'activité politique n’est,
en soi, ni un bien ni un mal : elle appartient à l’in-
nombrable catégorie des « choses indifférentes »
(40149000, indifferentia), qui deviennent, selon l’usage
qu'on en fait, la source d’actes blâmables aussi bien
que d'actes vertueux * et qui tantôt doivent être
recherchées, tantôt doivent être évitées. En règle
générale, il vaut mieux, disent les oracles de la secte,
agir que s'abstenir : il y a de grandes chances en
En désirant administrer la chose publique, le sage se conforme
à la nature, tout comme en se mariant et en procréant des enfants
(Cicéron, De Fin., II, 68). Le sage, disaient les vieux Stoïciens
grecs, est par essence X01Vwvtx0c et TOXKTUXOS.
* Cf. Tacite, Hist., IV, 5 : potentiam.. neque bonis neque malis
adnumerant.