60 LA PREMIÈRE CARRIÈRE. DE SÉNÈQUE
que pouvait être la vie publique? Au Sénat, le mot
d'ordre était bassesse et lâcheté ; on se faisait com-
plice pour tâcher de n'être pas victime. Tout trem-
blait, se cachait ou pliait'. Le jour où le tyran mou-
rut, On respifa.
Les premiers mois du nouveau règne? furent un
temps de paix, de sécurité, de joie universelle : plus
de délations, de sentences arbitraires ; les exilés
reviennent, les prisons s'ouvrent, la liberté renaît,
le Sénat recouvre son autorité. Plus libéral, plus
« démocratique »° encore que celui d'Auguste, le
gouvernement de Caius réalise un instant une forme
politique voisine de l’idéal stoïcien. Jamais fusion
plus harmonieuse du despotisme et de la liberté ne
s'était encore opérée : le prince est juste, bon, sou-
mis aux lois, on lui obéit sans contrainte ; il protège
les particuliers et respecte les magistrats ; les citoyens
ne sont pas ses sujets, mais ses adminislrés et ses
justiciables ; le Sénat n'est point une troupe d’escla-
ves réduite à accomplir des ordres, mais une assem-
blée souveraine, Coopérant avec indépendance à la
gestion des intérêts publics. Sénèque n'oubliera pas
cet âge d’or. Mais il n’oubliera pas davantage l’affreux
revirement qui suivit : Caligula, l'idole du peuple,
tombant malade, guérissant, mais restant fou, et
infligeant à Rome pendant trois longues années la
tyrannie la plus furieuse que l'imagination püt rèver ;
le caprice d’un monstre tenant lieu de loi et de rai-
" V. De Benef., HI, xxvr, le souvenir que Sénèque avait gardé de
ce temps.
? Les deux premières années, d’après Joséphe (Lov3. ’Aoy., XVIII,
VU, 2).
2 Dion, TX: