LA TYRANNIE SOUS TIBÈRE ET SOUS CAIUS 63
beau langage des orateurs, où l’éloquence donnait
la popularité, était un lointain souvenir. On disait
par tradition « le forum » pour dire le barreau.
Mais onne plaidait plus au Forum. C'était devant les
centumvirs, entre quatre murs, souvent sans public,
que la plupart des causes civiles se débattaient ;
c'était là que les meilleurs orateurs déployaient
maintenant leur talent, en tête à tête avec les
juges‘. S'ils tenaient à ce que leurs discours eussent
quelque notoriété, ils les envoyaient à leurs amis ou
leur en offraient l'audition dans une salle de lecture.
Quant aux affaires criminelles, elles se plaidaient
soit devant le Sénat, dont les séances n'étaient jamais
publiques, soit devant l’empereur, tout à fait à huis
clos”. On ne pouvait donc acquérir de célébrité qu’au-
près d'une petite élite d'hommes politiques et de let-
trés. Il est vrai que de cette élite un nom souvent
répélé passait bien vite à la foule. Sénèque n’était pas
insensible à la vanité de bien dire : ses succès de
parole furent autant de plaisirs pour lui. Mais il avait
en même temps la satisfaction de songer que remplir
son office d'avocat, c'était pratiquer fidèlement les
recommandations stoïciennes. Si le Stoïcien que des
circonstances fortuites éloignent de l’administration
! Tacite, Dial. de Orat.,38-39.
* Cf. Tacite, Ann., XI, 2: in cubiculum ; XIIL, 4: clausis intra
domum accusatoribus et reis. — Les quæsliones du temps de la
République fonetionnaient encore, mais les affaires portées devant
ces tribunaux, ne concernant d'ordinaire que de petites gens et
n'ayant plus jamais de caractère politique, ne donnaient lieu à
aucun déploiement d’éloquence. Quant au préfet de la Ville, sa juri-
diction n’était pas encore aussi étendue qu’elle le fut plus tard et
les débats paraissent avoir eu lieu devant lui, comme devant l'empe-
reur dont il est le mandataire, sans nulle publicité (v. Mommsen
et Marquardt, Manuel, t. V, p. 368). :