64 LA PREMIÈRE CARRIÈRE DE SÉNÈQUE
de l’État se doit encore à ses concitoyens, les assister
en justice est peut-être le plus grand service qu'il
puisse leur rendre.
Par la plume et par la parole, Sénèque, dès cette épo-
que, exerçail une influence sensible sur les idées et
sur le goût publics’. Il n’en fallait pas davantage
pour attirer les foudres impériales. Le pseudo-Jupi-
ter avait, entre autres manies, d'énormes prétentions
littéraires et surtout oratoires, qu'il s’efforçait de jus-
tifier en abattant tout ce qui lui faisait ombrage.
Bien écrire, bien parler était lui faire offense. Il avait
composé lui-même une rhétorique?. Malgré son amour
pédantesque pour les formes rares et archaïques”*,
malgré le désordre de son esprit, l'éloquence ne lui
manquait pas‘: ilexcellait dans l’invective et, quand la
colère l’inspirait, trouvait de terribles accents. Toutes
les fois que le Sénat avait quelque grosse affaire à juger,
il préparait à [a fois l'accusation et la défense, invi-
tait par édit l’ordre équestre à venir l’entendre et,
selon le morceau dont il était le plus content, char-
geait ou innocentait l'accusé. Les lauriers d'autrui
le désolaient à tel point qu'il réfutait par écrit les
orateurs qui avaient gagné leur cause’. Mais ses
rivaux ne s’en tiraient pas tous à si bon compte.
Domitius Afer, délateur éhonté, mais orateur illustre
ethomme d’esprit, fut un jour traduit devant le Sénat
par l’empereur, qui mit son amour-propre à l’éclip-
ser en parlant contre lui. Accablé par un long réqui-
: Suétone, Cai., 53.
* Suidas, art. l'évoc Kaïoao.
5 Quintilien, Inst. or.; 1, v, 63; vi, 19.
4 Tacite, Ann., XIIL, 3; Josèphe, ‘lovô. ’Aoy., XIX, 11,5.
* Suétone, Cai., 53.