Full text: 1.1928=Nr. 4 (1928000400)

cette affaire. Vous direz, et an besoin vous 
jurerez, que j’ai 65 ans; vous entendez bien 65 
ans, retenez bien ee chiffre. 
J’en avais moi-même 63 au moment ou Mme. 
O. me presentad eette requête; scr fils devait 
friser Ia soixantaine, il a deux ou trois aus de 
moins (|ue moi. Evidemment affirmer que sa 
mère avait,'65 ans c’était luí attribuer une pré- 
eoeité vraiement extraordinaire. 
—-Je dirai 65 ans, madame; et le plus scr.u- 
puleux des casuistes me donnera 1’absolution 
plénière; ma eonscienee sera en repos car je 
serai seulement. .. un peu au-dessous de la 
vérité. 
—C’est cela, faites de l’esprit maintenant... 
un peu au-dessous de la vérité, et de combien 
eroyez-vous? Osez le dire, osez, vayons! 
Mlle. O. crut devoir interrompre. — Tante n’a- 
busez pas; monsieur est trop galant et respec- 
tueux pour vous dire ce qu’íl pense; et vous 
no l’avez appelé que pour un seul mensonge. 
—Alors c’est entendu, je peux 1 compter sur 
vous? 
Mme. O. n’aimait pas les résistances, et je 
n’en avais pas à en opposer. 
—Demain à 11 lieures sans faute au con- 
sulat. 
Le lendemain a 11 heures precises j’étais 
au rendez-vous tout disposé à provoquer, s’il 
le falla.it, un léger strabisme dans les yeux de 
la vérité. Un nom connu, enchassé dans beau- 
coup d’argent jouit de prestiges indiscutables 
et est un puissant moyen de persuasión. Mon 
intervention ne fut pas requise. On. crut Mme. 
O. sur parole, et l’áge qu’elle aceusa fut ac- 
cepté sans la moindre objection. 
—Maintenant, me dit-elle en sortant des 
bureaux du cónsul, je n’ai plus que 65 ans; 
c’est un peu beaucoup pour un rapt, mais nous 
vous enlevons. Vous allez venir déjeuner avec 
nous. C est le moins que je puisse vous offrir 
apres vous avoir derangé inutilement; et j’ai, 
fail moi máme, des crepes en votre intention. 
•J avoue que je fus sincérement ému de cete 
attention. J’imaginai Mme. O., enveloppée dans 
un grand tablier blanc, roulant la páte dans 
la euisine, pour m’étre agréable, à 80 ans. 
Elle se rendit compte du sentiment que j’é- 
prouvais et me dit: — C’est avec des sucreries 
qu'on vous prend, hein? Voilá les philosophes, 
les incorruptibles, les inaccessibles aux tenta- 
tions de ce monde qui se rendent pour une 
douzaine de erépes. 
Paites par vous, Mme. faites par vous. Ce 
délail a pour moi une importance capitale! 
Et nous arrivâmes à la maison. Quelques 
instants de conversaron, une gorgée de ver- 
moutli, et nous nous mettions à table. 
Un déjeuner fin et sobre, une causerie ani- 
niee dans un milieu sympathique je commen- 
çais à apprécier les avantages de la fortune 
quand on nous servit un excellent moka. 
—Et mes erépes, s’écria tout a coup Mme. O., 
mes erépes? 
—Tante nous les avons oubliées, et mainte 
nant ? 
Témoin de cette faiblesse mnémonique le 
cónsul eüt peut-étre douté de la sincérité de 
Mme. O. avouant 65 ans. La mémoire est en 
elfet la faculté qui faiblit la premiére avec 
l’áge. 
—Qu’on les serve de suite, je les ai faites 
pour notre ami, et je tiens à ce qu’il les goúte. 
II en sera quitte pour prendre une autre tasse 
de café, je sais que cela n’est pas pour lui 
déplaire. 
On apporta les crêpres. Légéres, fines, pres- 
que translucides elles étaient exquises. 
J . S . 
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